Culture Toyota : plongée au cœur d’une culture axée sur l’apprentissage permanent, la vision à long terme et le collectif
RΣPENSER LE LEAN #2
Eclairage Natacha JUSHKO
Voici un éclairage sur la culture Toyota. Un ancien employé du siège européen nous fait découvrir comment l’entreprise intègre l’apprentissage au cœur de sa culture d’entreprise. Une histoire d’engagement, de résolution de problèmes, d’outils et de culture d’entreprise.
Rapidement après ses études à l’IAE de Grenoble, Virassack Sisounol complète son parcours académique avec une spécialisation en business international en Écosse, avant de prendre le large. Il réalise ses premières expériences professionnelles en Guyane et en Allemagne. C’est en 2001 qu’il rejoint la supply chain de Toyota Motor Europe. Il y découvre le Toyota Production System (TPS) auprès d’un management Japonais. Une aventure professionnelle et culturelle qui marquera profondément la suite de sa carrière…
Au cœur de la méthode Toyota: l’apprentissage
En rejoignant le constructeur automobile, Virassack réalise que la formation sera désormais au cœur de sa vie professionnelle. Dès les premières semaines, il alterne cours théoriques et applications pratiques au sein de la Toyota Academy : « j’ai cru que je retrouvais les bancs de l’école ». Il poursuit : « On m’a rapidement formé au PDCA (Plan-Do-Check-Act) et j’ai dû réaliser une série de documents A3. Ces outils nous ont été présentés comme des moyens efficaces de mobiliser les différentes parties prenantes de l’organisation et de fluidifier la communication ». Avec le recul, Virassack considère que cela lui a permis de développer une compréhension holistique des processus opérationnels. Et chaque évolution de carrière a nécessité la réalisation d’un Toyota Business Practice (TBP), une méthodologie rigoureuse d’identification et de résolution de problèmes. Virassack explique : « L’évaluation de ce TBP portait à la fois sur la justification de la solution, sa mise en œuvre, sa pérennisation mais aussi sa communication ». En effet, le TBP fait l’objet d’une présentation à un panel composé de collègues issus de différents départements, et donc pas forcément familiers avec le domaine d’activité. « Le but de l’exercice était également d’apprendre à communiquer aussi clairement que possible, aussi bien aux spécialistes qu’aux néophytes, qui étaient tous invités à nous challenger ». Ce système de promotion lie les performances passées à son potentiel futur…
Le sens de l’engagement nécessite une perspective à long terme
Dès son arrivée, Virassack est convié à participer à la finalisation du Long Term Plan (LTP). Ce projet de planification industrielle et commerciale à 10 ans prévoit un modèle gamme hybride pour l’ensemble des gammes Toyota et Lexus. « Nous étions en 2001, et à cette époque, la Prius était le seul modèle hybride de la gamme. Tout cela me semblait un peu abstrait, mais j’ai très vite réalisé que chez Toyota les plans ne constituaient pas des hypothèses mais de véritables feuilles de route. » Rapidement il rejoint le département de gestion de la chaîne d’approvisionnement. Il s’y attèle consciencieusement à ses nouvelles fonctions. Au bout de quelques semaines, il est convié à un lunch en tête-à- tête avec le Vice-président de Toyota Motor Europe de l’époque : Mr. Tadashi Arashima.
« Après avoir brisé la glace, il m’a questionné. Il m’a demandé si je savais pourquoi mon môle était important, pourquoi j’étais là et comment j’allais contribuer à l’organisation ».
Il poursuit : « je lui ai dit que je gérais des données de manière à établir des fichiers de plannings sans me tromper ! Virassack sourit : « Bon, avec le recul, ça me fait sourire, mais à l’époque, je croyais que c’était une bonne réponse… Tadashi Arashima a repris la parole et m’a gentiment répondu que ce n’était pas que cela… ». Le VP lui explique alors que la planification est une activité stratégique chez Toyota ; « il m’a dit que le rôle du planning n’était pas simplement de remplir des tableaux Excel, mais que chaque chiffre introduit constituerait un engagement. Cet échange m’a fait prendre conscience que je jouais un rôle indispensable dans l’organisation. Mes estimations contribueraient aux prises de décisions de ma hiérarchie ». Aussi junior et opérationnel que son poste puisse paraître aux premiers abords, Virassack réalise ainsi toute l’ampleur de sa responsabilité, une responsabilité qui va se révéler à l’occasion d’une erreur…
L’appropriation collective des problèmes…et des solutions !
En tant que planificateur, une des missions de Virassack est d’assurer un équilibrage entre l’offre et la demande. D’une part, il doit anticiper la demande de manière à allouer en amont les véhicules aux distributeurs européens. De l’autre, il doit communiquer la meilleure estimation possible de la demande aux sites de production. Mais un jour, il omet d’anticiper un changement de jantes lié au cycle de vie d’un véhicule. Des milliers de véhicules sortent des usines avec les anciennes jantes. Et problème supplémentaire, le manque d’anticipation ne permet pas la mise à disposition rapide des nouvelles jantes. Ce ne sont pas moins de 11.000 véhicules déjà produits qui vont devoir faire l’objet d’un remplacement de jantes. Convoqué par son management, Virassack imagine le pire, convaincu que la fin de sa carrière chez Toyota a sonné. Mais à sa grande surprise, il n’est pas convoqué pour écouter des reproches ou se justifier. Ses supérieurs souhaitent l’entendre sur l’origine du problème et de quelle manière il compte réparer l’erreur. On lui demande d’expliquer ce qui a déjà été mis en œuvre en termes de coordination des rétrofits, et sur ce qui devrait être mis en place afin que ce genre d’erreur ne puisse plus se reproduire à l’avenir. « Je fus surpris par la tournure des évènements et par l’approche pédagogique qu’ils ont adopté ». Il poursuit :
« Plutôt que de se focaliser sur mon erreur durant la réunion, les questions plus difficiles avaient été abordées au préalable de manière à éviter de me faire perdre la face. Finalement, ils ont mis l’accent sur la résolution du problème, plutôt que sur l’erreur, culture japonaise oblige. »
Le travail réalisé à la suite de cet incident a débouché sur un nouveau standard de manière à éviter que cela ne puisse se reproduire. Le rôle du management n’était donc pas d’améliorer les tâches et les opérations, mais d’aider les employés à le faire au travers d’expérimentations et d’apprentissages, chacun à leur niveau.
Bien que la standardisation des process puisse paraître antinomique avec la responsabilisation des équipes aux premiers abords, elle constitue en réalité un prérequis à l’autonomie car elle permet à tous de connaître l’écart entre la façon dont le travail est réalisé et comment il devrait être réalisé. Les déviations de standards concernent dès lors le collectif, tout comme leurs résolutions. A rebours de l’hyper-individualisation du travail et de la personnalisation des succès, des échecs et des erreurs que l’on retrouve traditionnellement dans les organisations, la standardisation permet une appropriation collective des problèmes et des solutions.
Place aux outils et au management visuel
Lorsque Virassack débute, chaque département remplit un tableau destiné à être discuté lors des réunions mensuelles afin d’être consolidé dans un tableau de bord global des ventes et des productions. Mais avec la démultiplication du nombre de pays participants, ces réunions deviennent de plus en plus longues et complexes. Chacun des départements tente de se faire entendre, voire d’imposer ses chiffres. Il est alors décidé de travailler de manière visuelle pour résoudre les tensions et établir des indicateurs communs.
« Chez Toyota, on m’a enseigné que le visuel était un des meilleurs outils de communication, car il est universel. Pour ma part, j’étais davantage capable d’intégrer les contraintes des différentes parties prenantes lorsque je les voyais, et cela facilitait les prises de décisions. »
En effet, la confrontation visuelle de différentes perspectives permet de sortir des logiques individuelles. La gestion visuelle comme les outils du TPS (Toyota Production system) a pour vocation d’améliorer le partage de l’information et la prise de décision en créant un cadre propice à la résolution des problèmes. « Les personnes avaient ce qu’il fallait pour ensuite analyser et résoudre les problèmes. Les outils n’étaient que des moyens ». C’est après avoir quitté Toyota que Virassack prend conscience de l’approche « boîte à outils » répandue dans l’industrie du Lean. Durant ses 10 années passées chez le constructeur automobile, et bien qu’il se soit formé à une pléthore d’outils aux noms japonais exotiques, ce qu’il a surtout compris, c’est que c’est la culture d’entreprise qui détermine l’utilisation et la portée de ces outils.
« J’ai découvert le succès des certifications après avoir quitté Toyota. Il m’est même arrivé qu’on me demande expressément d’utiliser un terme japonais pour décrire un outil ou une méthodologie, question de se rassurer… »
« Pour moi, partir de la culture d’entreprise est primordial. Peu importe les appellations ou les certifications, on doit davantage s’intéresser aux processus et aux dynamiques, plutôt qu’aux outils et aux pratiques. Je suis convaincu qu’une utilisation adaptée, de tout ou partie, des outils du Lean Management est un réel atout permettant de développer une organisation résiliente capable d’intégrer les diverses tensions managériales et de faire face à la complexité croissante des enjeux rencontrés ». Il poursuit : « je constate avec l’expérience que les capacités de comprendre et d’intégrer ces tensions se développent finalement lorsqu’on est confronté à la réalité du terrain : le faire, le faire-faire (l’encadrement), le faire grandir les autres (coaching/mentoring), l’amélioration continue (PDCA) et surtout le travail d’équipe (motivation) … tout cela dans un cadre culturel propre à l’organisation ».
Il conclut notre échange en comparant le fait de déployer des outils Lean sans autre considération au fait d’utiliser un broyeur à béton Caterpillar pour casser une noisette… Si l’approche n’est pas adaptée, cela pourrait même rendre les choses plus compliquées qu’avant. Il est donc nécessaire d’apprécier la pertinence des outils dans son contexte de manière à garantir leur valeur ajoutée, ce qui constitue le moteur de la démarche Toyota !
Virassack SISOUNOL
Virassack a construit une grande partie de son expérience dans le secteur automobile, notamment chez Toyota Motor Europe à Bruxelles. Cette période lui a permis d’être exposé, entre autres, à des enjeux liés à la mise en place de projets visant à définir, implémenter et piloter la performance de bout-en-bout de la chaine d’approvisionnement en utilisant les méthodologies du Lean Management. Aujourd’hui, Virassack a un rôle d’associé chez Intys où il occupe les fonctions de « Delivery Management » et de gestion de la qualité.