S’adapter aux cultures est primordial pour un chef de projet Lean
Etant Franco-Mexicaine, j’ai toujours baigné dans un environnement multiculturel.
J’ai navigué au gré des langues et des cultures depuis mon plus jeune âge. Mais c’est après des études en Management International que j’ai découvert l’importance de la communication interculturelle et de l’adaptabilité.
J’ai longtemps travaillé avec une équipe Marocaine. M’adapter à leur culture a été primordial. Le rapport au temps, à la hiérarchie, le mode de prise décision, la formulation des feedbacks sont autant d’aspects culturels qu’il a été nécessaire de maitriser pour mener à bien notre projet.
Gestion du temps
Mon rapport au temps est monochronique[1], c’est à dire que j’ai intégré une perspective du temps linéaire et tangible, la norme en Occident. En France, nous acceptons 5 à 10 min de retard, voir un quart d’ heure dans ma région d’origine. Dans d’autres cultures, le temps est polychronique, c’est-à-dire flexible. Cela signifie que nous sommes dans l’approximatif: « Appelons-nous dans quelques jours… ». Mais que veut dire quelques jours? deux? quatre ou sept jours? Cela peut engendrer des situations inconfortables, voir frustrantes.
“Nous n’avons pas pu faire la moitié du programme que j’avais prévu. Après cette première journée, je suis rentrée à l’hôtel dépitée. Quelle frustration !”
Lors de mon premier workshop Lean, j’avais un agenda assez chargé. Voulant bien faire, j’avais établi un planning chronométré pour permettre aux participants de travailler après les sessions et de ne pas rentrer trop tard chez eux. Vous devinez la suite ? Nous avons commencé avec une heure de retard et les pauses ont été plus longues que prévues. Nous n’avons pas pu faire la moitié du programme que j’avais prévu. Après cette première journée, je suis rentrée à l’hôtel dépitée. Quelle frustration ! J’ai dû faire une bonne séance de sport pour me calmer…
Puis je me suis rappelée du Mexique, de mes amis qui me disaient: « Ahorita, pasamos por ti » (on passe te prendre maintenant ou dans cinq minutes) alors qu’ils n’étaient même pas apprêtés. Ces divergences sont formalisées au travers d’une des dimensions culturelles[1] liée au temps : la gestion du temps, qu’illustre le tableau ci-dessous.
Source: N.Jushko, Voyage au Pays du Lean – Décrytptage culturel et systémique du Lean Management! Afnor éditions, 2021, p.66
J’ai donc revu mon programme et j’ai cherché à établir un langage commun. Dès le lendemain matin, j’ ai pris un moment pour expliquer à l’ équipe quelles étaient mes contraintes, mes besoins et mes attentes. Nous avons établi ensemble des règles communes . Suite à cela, le respect de l’agenda n’a plus été source de frustration.
Plus tard, j’ai été amenée à m’adapter à nouveau, lors d’un projet mené en Scandinavie. Ce sont des cultures très égalitaires. Le rapport au temps et à la hiérarchie y sont très différents de ceux au Maroc.
Le rapport à la hiérarchie
“Au Maroc, les directeurs ne rejoignaient une session de travail que lorsqu’ils y avaient été convié par un supérieur hiérarchique. En Suède, les directeurs répondaient présents aux ateliers, et participaient comme le reste de leur équipe.”
Au Maroc, on vouvoie ses supérieurs hiérarchiques en signe de respect. Les directeurs ont une place de parking définie à l’intérieur de l’enceinte de l’entreprise, de grands bureaux avec du mobilier imposant, et beaucoup de fenêtres. La distance hiérarchique est marquée entre managers et collaborateurs, et cela se traduit au niveau de la communication et des modes de prise de décision. Il faut respecter « la chaîne de commandement ». Alors qu’en Suède par exemple, le management revendique une hiérarchie purement fonctionnelle. On peut se référer à son N+2, voir son ou N+3, et l’ appeler par son prénom. Les directeurs répondaient présents aux ateliers, et participaient comme le reste de leur équipe.
Aborder la question culturelle lors d’une transformation Lean
Nous sommes tous porteurs des prismes différents qui influencent nos comportements. J’invite donc les responsables projet à se poser la question des « lunettes » de l’autre. Cela me parait essentiel pour embarquer à la découverte du Lean. A mon sens, le Lean ne peut être inscrit dans le nouvel ADN d’une organisation sans tenir compte des aspects culturels. Un grand nombre de modèles interculturels sont disponibles, parmi lesquels on compte désormais un outils interculturel dédié au déploiement du Lean : la boussole culturelle du Lean.
L’interculturel permet de :
- mieux appréhender les attentes,
- d’y répondre de manière appropriée,
- de déceler l’origine d’éventuelles réticences pour les désamorcées à la source
Le Lean replace les individus au centre de l’ organisation dans le respect de chacun. Il les fait grandir et promeut la convergence vers un but commun. La prise en considération des leviers culturels, tout comme une prise en charge adaptée des freins culturels, favorise un contexte propice au développement du Lean management, et permet :
- de partager les points de vue dans le respect des spécificités,
- d’établir des règles du jeu,
- d’adopter un langage commun et des objectifs partagés,
- d’assurer l’alignement
C’est grâce à cet alignement que nous pourrons mieux servir nos clients et changer ensemble pour nous adapter au monde qui nous entoure.
[1] Terme issu des études menées par l’anthropologue américain, spécialiste de l’interculturel Edward T. Hall.
[2] Les dimensions culturelles sont issues d’études empiriques, essentiellement menées dans les domaines de l’ethnologie, de l’anthropologie, de la sociologie, de l’éthologie et de la linguistique.
Scarlet WITTKOWSKY
Franco-Mexicaine avec des origines Allemandes, Polonaises et Libanaises, Scarlet a travaillé dans plusieurs domaines avant d’orienter sa carrière vers l’excellence opérationnelle. Passionnée par le « Lean Management », certifiée Black Belt, elle a mené plusieurs projets à l’international, notamment au Maroc, France, Espagne, Suède, Europe de l’Est, Amérique du Nord et Suisse. Portée par la découverte de nouvelles cultures, Scarlet a récemment quitté la France pour se lancer dans une nouvelle aventure professionnelle en Allemagne.
Photo du post : Saketh Garuda, Unsplash